L'important c'est le voyage, pas la destination

jeudi, septembre 03, 2009

Écosse - Deuxième semaine de quatre.

06/07
Uig (Skye) - 70 km / 507 km.
Cette fois-ci, j'ai eu la bonne idée d'indiquer à notre cuisinier que je suis végétarien. Déjà, c'est beaucoup mieux. Les oeufs sont toujours aussi gras, mais j'ai droit à des fèves, des céréales et quelques légumes. Il y a toujours de cet infâme pain blanc industriel. J'abdique donc celui-ci au profit de biscuits au seigle beaucoup plus nourrissants. Le thé? Il est imbuvable.

Après quelques coups de pédales, bon mettons quelques milliers, contre un vent de face, nous atteignons Portree. Un village aussi mignon que petit. Nous en profitons pour y poster nos cartes et dîner de sandwich au saumon fumé.

Le camping à Uig est littéralement fait d'Astroturf. Je n'ai jamais vu un gazon aussi vert et fourni. On se croirait sur un vert de golf. Mais c'est bien sûr! Après tout, c'est ici que ce sport a été inventé. Ah, voilà qui explique bien des choses. Un autre généreux chili, une bouteille de vin, du chocolat; les cyclistes sont contents. Une ballade au port pour y voir les pêcheurs ramener des langoustines et me voilà tout à fait prêt pour une bonne nuit.

Mon sommeil est assez bon. Je suis excessivement satisfait de mon nouveau sac de couchage, un Merlin de Mountain Equipment Coop, tout à fait adéquat pour les conditions météorologiques, les nuits étant plutôt fraiches. Mon seul problème est le peu d'heures de nuit noire, disons six. Un soleil matinal, couplé avec la toile jaune de la tente, me réveille à 4 h 00. C'est un peu tôt pour un vacancier.


07/07
Carloway - 81 km / 588 km.
Encore un bateau, pour atteindre l'île de Lewis. Il ne fait pas très chaud. Le vent se lève et nous frappe de face toute la journée. Fait inusité, il souffle même lorsque l'on monte des pentes, aussi prononcées soient-elles, et il y en a, ce qui nous inspire un vocabulaire liturgique.

Le paysage ici est extraordinaire. Bien souvent, il n'y a pas de circulation, alors on se sent vraiment dans un endroit exceptionnel. En fin de journée, nous pourrons voir et même toucher des pierres dressées, soit celles de Callanish. Comme je l'avais vécu en Bretagne quelques années plus tôt, en ces sites je me sens comme dans une cathédrale. Ceux qui me connaissent savent à quel point je suis rationnel, et pourtant, je ressens quelque chose de profondément spirituel en ce genre de lieux. Et puis, je suis ému de constater que des individus ayant vécus voilà plus de trois mille ans soient parvenus à dégager suffisamment de temps libre pour concevoir de telles réalisations. Cela me confirme que ces lointains ancêtres avaient bien d'autres occupations que la simple survie; sans doute des espérances, des amitiés, des craintes et les mêmes questions philosophiques que nous...

Après quelques tergiversations, nous trouvons le Garenin Crofter's Hostel qui est situé dans un ensemble de croft houses reconstitués. Les autres visiteurs sont très accueillants et nous offrent de la nourriture que nous dévorons avec joie, nos réserves étant insuffisantes. Les dortoirs y étant bien occupés, nous optons pour monter la tente près de la grève où nous pourrons nous endormir, très, très fatigués, bercés par le son des vagues. Zzz...


08/07
Ullapool - 34 km / 622 km.
Nous manquons de nourriture et devons nous contenter d'une tranche de pain comme déjeuner. Après six cents kilomètres et sept jours de pédalage, il nous semble qu'une journée de repos serait la bienvenue. Une route isolée nous permet d'épargner quelques kilomètres afin de rejoindre Stornoway. La traversier est déjà là, nous embarquons immédiatement, sans visiter la ville. Une autre fois peut-être? Nous établissons notre campement à Ullapool. Nous allons y profiter du service de connexion internet d'une librairie. Désireux de ne pas faire de souper ce soir, nous essayons le restaurant indien situé à la sortie du camping. Mauvaise idée. Le service est mauvais et les plats aussi peu savoureux que gras et chers. À preuve, alors que nous avons demandé de l'eau, on nous apporte deux petites bouteilles qui nous seront facturées 4 £! Et dire que l'eau de robinet nous satisfait pleinement. Non ce pays n'est pas pour le vieil homme amateur de restauration économique.

Anecdote: la tremblante du mouton, la maladie de la vache folle et autres horreurs ayant frappé les troupeaux ont traumatisé les Anglais. Tout aliment ne contenant pas de protéines animales est clairement étiquetté « Suitable for vegetarians ». Même les bouteilles d'eau!


09/07
Scourie - 70 km / 692 km.
Une fois de plus, nous avons à affronter un fort vent de face durant toute la journée. Le parcours étant assez vallonné, je suis d'autant content que la journée précédente en fut une de repos. Et puis, le panorama est splendide. Nous n'avons eu droit qu'à une seule épicerie, soit à Scourie même. En contrepartie, nous prenons une soupe dans le Tea Room le plus charmant d'Écosse. Le château Ardvreck et la maison Calda, enfin ce qu'il en reste, sont dignes d'un arrêt. La fortification date de la fin du 15ième siècle et fut le théâtre de meurtres, exécutions et sièges jusqu'à ce que la foudre la frappe en 1795. Plusieurs fantômes hanteraient l'endroit, dont la femme d'un McLeod, morte noyée après s'être mariée avec le diable. Non ce pays n'est pas pour le vieil homme superstitieux.


10/07
Durness - 54 km / 746 km.
C'est avec difficulté que nous parcourons 50 kilomètres aujourd'hui. Fatigue? Faim? Effet du temps gris? Moral bas? Je ne sais pas, mais c'est pénible. Un collègue cyclotourisme nous raconte son expérience à Cape Wrath. Il a parcouru tout le chemin en vélo et a couché près du phare où, en dépit d'un muret de pierre, les vents violents ont fouetté sa tente toute la nuit, endommageant celle-ci. Euh, pas sûr que je souhaite vivre cette expérience. Découvrant avec déception qu'il n'y a plus de navettes pour Cape Wrath cet après-midi, nous reportons le projet à demain et prenons un peu de repos au camping.


11/07
Tongue - 62 km / 808 km.
En matinée, nous prenons un petit bateau puis un autobus pour atteindre Cape Wrath. Quelle bonne idée! Il faut quarante minutes au véhicule pour se rendre à destination certes, mais surtout la route est composée essentiellement de montées et de descentes, souvent abruptes, avec de nombreux trous et pierres. Bref, cela aurait été un véritable cauchemar avec nos vélos chargés et dépourvus de suspension. Une fois à destination, l'endroit est à couper le souffle. Les falaises sont abruptes et présentent des récifs déchirés, seuls obstacles entre l'Écosse et l'Amérique du Nord. Je sais qu'à cinq mille kilomètres, quelqu'un pense à moi, alors je fais de même, très, très fort, espérant que cette opportunité laisse passer mon message.

Le phare, comme plusieurs dizaines d'autres, a été conçu par David Stevenson, ingénieur renommé, dont la famille a produit de nombreux hommes extraordinaires dont son neveu, Robert Louis Stevenson, auteur de « L'île au trésor » et de « L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde ».

Au retour, nous profitons des largesses de notre camping. Plus particulièrement un bâtiment couvert où un réchaud au gaz nous permet de cuisiner une roborative soupe avant de repartir. C'était nécessaire, car une fois de plus, le vent, le pire ennemi du cycliste, s'acharne contre nous. Après 50 kilomètres de bataille, il s'avère préférable de s'arrêter. Il faut dire qu'une luxueuse auberge de jeunesse nous est particulièrement attrayante. Chambre privée, cuisine moderne, salon de lecture à la bibliothèque richement garnie et aux fauteuils très confortables y agrémentent particulièrement bien notre court séjour.


12/07
Scrabster - 80 km / 888 km.
Visite du château Merrick puis une nouvelle confrontation avec Éole. C'est dur! En plus, il y a de bonnes côtes et le paysage est ordinaire. Mettons que c'est la partie du voyage où il faut beaucoup chercher pour trouver le plaisir dans ce type d'expérience. Nous découvrons aujourd'hui la plus courte piste cyclabe au monde, puis encore de la pluie, ce qui fait baisser la température. Un hôtel moche à 50 £ ne contribuera pas plus à mon bonheur. Je noierai mes souffrances dans une pinte de Guiness qui, après quelques gorgées, m'apaisera complètement.